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L'arbre qui cache le crash

Pinède exploitation forestière
En 2018, la pinède se dressait encore sur cette parcelle sylvicole.

 

Fuir le bitume est tout un art, et la forêt l'artiste. Elle dessine ce qu'il lui reste de paysage et peint chaque jour un nouveau tableau. Des lignes acérées des montagnes succèdent tour à tour celles plus rondes des collines et des lacs. Les couleurs vives du Midi solaire déteignent sur l'ocre crépusculaire.

 

Pourtant elle recule, quoi qu'en disent les chiffres. Selon la statistique, la forêt française se porte bien, croît et prospère. Pour y croire, il suffit, comme elle, de considérer que la monoculture affûtée est la digne héritière de la forêt naturelle. Comme si le seul intérêt des biens communs résidait en leur possession, sans autre droit que celui de prospérer dans un but pécuniaire.

 

Maîtriser ces herbes folles est devenu un sport national, car la machine se doit d'en tirer quelque chose. De même essence, le tronc est ainsi calibré, espacé d'un mètre cinquante pour une coupe standardisée et une production optimisée. Dans cette veine, les individus sont génétiquement sélectionnés, clonés et arrosés d’intrants afin d'épargner à l'élagueur-machine toute fantaisie naturelle. L’abeille et la bruyère côtoient la molécule chimique. La croissance est maîtrisée, le tronc est lisse, droit et dépourvu de petites branches pour faciliter la coupe rase et entasser plus de mille plans par hectare artificiel.

 

La rationalité de l'homo economicus prive cet arbre de sa destinée : s'enraciner pour des siècles et servir d'habitat à la microfaune. En effet, parmi ces allées de résineux, il n’y a point de place pour les morts, les aspérités et les cavités, alors même que ces lieux abritent généralement la vie. La biodiversité n’y trouve point de refuge. Les fougères peuplent la voûte des frondaisons au prix d’une insatiable lutte contre la sécheresse, désertée par la flore mellifère.

 

Comme dans tout système d'élevage, son temps bref lui est compté. Ce conifère low cost au garde-à-vous est l'incarnation de la loi aseptisée de l'offre et de la demande. De cette sylviculture, il ne demeurera qu’un paysage lunaire, trop chaud, trop silencieux, dépourvu d’humus et traversé par de profondes et écrasantes ornières. La stérilité du sol féconde momentanément la richesse des coopératives forestières. 

 

Vite, il faut vite remplir la panse des cadis, alignés devant le mastodonte suédois de l'ameublement en kit, à l'instar des boîtes postales, gavées de publicités. Alors, tout ira bien, tonnent les Breaking news. La croissance reprend sa folle ascension, élaguant de facto ce que nous sommes, ce qui nous relie à la terre. 

 

Les forêts comptent au nombre des biens communs à protéger et à partager. Elles constituent un secteur stratégique pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, inscrite dans le plan climat. Le développement durable des espaces forestiers ne peut se concevoir sans la restauration d'un usage commun, fait de droits et d’obligations citoyennes dans les forêts françaises. Pourtant, le gouvernement entérine la privatisation de l'Office national des forêts, accentuant de facto la pression économique sur la gestion des forêts publiques, à l'instar des forêts domaniales. A quand des lendemains (vraiment) plus verts ?

 

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